L'empereur romano-chrétien convoqua les grandes assemblées d’évêques - les conciles - et l'Église fut en mesure d'organiser ses structures territoriales de gouvernement pastoral.
1. Introduction
La liberté fut offerte au christianisme et à l’Eglise alors que les échos de la dernière grande persécution venaient à peine de cesser de résonner. Ce fut précisément Galère, le principal instigateur de cette agression persécutrice, qui tira le premier les conséquences pratiques de son complet échec.
Parvenu, comme successeur de Dioclétien, à la suprême dignité impériale, l’auguste Galère, près de mourir, promulgua à Sardique, le 30 avril 311, un édit établissant de nouvelles normes de la politique romaine à l’égard du christianisme.
Cet édit accordait aux chrétiens un statut de tolérance : « Nous leur permettons l'exercice de la religion chrétienne, et de tenir leurs assemblées, pourvu qu'il ne s'y passe rien contre les lois » (1).
2. L’édit de Galère
Cet édit n’accordait pas aux chrétiens une entière liberté religieuse mais plutôt une prudente tolérance.
Néanmoins, son importance fut considérable car, pour la première fois, le christianisme cessait d'être une superstition « illégale » pour acquérir ses lettres de citoyenneté. Ce fut une importante victoire, jamais atteinte jusqu’alors.
L'Eglise avait connu au cours du troisième siècle des périodes de tranquillité, et même d’évidentes sympathies de la part de certains empereurs romains, comme Philippe l'Arabe (244-249).
Mais ces intervalles de calme n'apportaient aucune garantie de sécurité juridique pour l'Eglise, toujours exposée à de nouvelles vagues de persécution. Le statut de la tolérance apporté par l’édit de Galère n’en avait que plus de valeur.
3. L’édit de Constantin
Le passage de la tolérance à la liberté religieuse vint très vite, et son auteur principal fut l'Empereur Constantin. Au début de l’année 313, les Empereurs Constantin et Licinius promulguèrent ce qu’on appelle “l'édit de Milan” qui, plus qu’une norme légale concrète, semble avoir constitué une nouvelle orientation politique fondée sur le plein respect des options religieuses de tous les sujets de l’Empire, y compris des chrétiens.
La législation discriminatoire élaborée contre ces derniers fut abolie, et l'Eglise, reconnue par le pouvoir civil, recouvra ses lieux de culte et les propriétés dont elle avait été dépouillée. L'Empereur Constantin devint ainsi l’instaurateur de la liberté religieuse dans le monde antique.
L’attitude de Constantin, dans le cadre de ce statut juridique général de liberté religieuse, inclina progressivement en faveur du christianisme.
Il est d’ailleurs significatif que, même avant l’édit de Milan, alors que le sort de la Ville romaine et de l’Empire se décidait par les armes entre ce prince et son rival Maxence, l’armée constantinienne ait porté à la bataille du Pont Milvius, comme emblème propre, un étendard marqué du monogramme du Christ (2).
Constantin considéra toujours sa victoire comme un signe céleste, bien que sa “conversion” définitive - c’est-à-dire sa réception du baptême - retardée pendant de nombreuses années, n’intervint qu’à la veille de sa mort (337).
Tout au long de ces années, l'orientation pro-chrétienne de Constantin devint de plus en plus évidente. Les pratiques païennes sanglantes et immorales cessèrent d’être autorisées et il fut interdit aux magistrats de participer aux sacrifices traditionnels de culte.
A l’inverse, l’Empereur favorisa l’Eglise de bien des manières : la construction de temples, la concession de privilèges au clergé, l’apport de son concours pour rétablir l’unité de la foi, troublée en Afrique par le schisme donatiste (3) et, en Orient, par les doctrines d’Arius (4). Les principes moraux de l’Evangile inspirèrent progressivement la législation civile, donnant ainsi naissance à ce qui prendra le nom de droit romano-chrétien.
4. Une nouvelle expansion
La progression du christianisme n’a pas été interrompue par la mort de Constantin, si l’on excepte la vaine tentative de restauration païenne de l’Empereur Julien l’Apostat (331 ou 332 - 26 juin 363) (5). les autres empereurs - même ceux qui sympathisèrent avec l’hérésie arienne - furent résolument opposés au paganisme.
En accédant au pouvoir impérial en 375, Gratien renonça au traditionnel titre de « Pontife suprême » que ses prédécesseurs chrétiens avaient consenti à conserver. Un affrontement significatif entre le christianisme ascendant et le paganisme décadent se produisit dans le théâtre le plus vénérable de la Rome antique : le Sénat.
L’autel de la Victoire, qui dominait l’assemblée, comme symbole de la tradition païenne, fut ôté par la volonté des sénateurs chrétiens, qui étaient majoritaires, face au groupe des « vieux romains » dirigé par le sénateur Symaque. L’évolution religieuse s’acheva avant la fin du 4ème siècle, grâce à l’Empereur Théodose. La constitution “Cunaos Populos”, promulguée à Thessalonique, le 28 février 380, ordonna à tous les peuples d’adhérer au christianisme catholique, désormais seule religion de l’Empire.
5. La réorganisation de l’Eglise
Un fois obtenue sa liberté, l’Eglise dut réorganiser ses structures territoriales, pour adapter son action pastorale dans un monde qui se christianisait rapidement. En vertu de ce qu’on appelle le « principe d’accommodation », l’Eglise prit les structures administratives de l’Empire comme critères de sa propre organisation.
La circonscription la plus classique - la province - servit de modèle à la province ecclésiastique. A la fin du 5ème siècle, l’Empire comptait plus de 120 provinces. La division provinciale de l’Eglise s’implanta graduellement dans ce cadre territorial.
L’évêque de la capitale de la province civile acquit progressivement une certaine prépondérance sur ses collègues de la province : ce fut le « métropolite », évêque de la « métropole », tandis que les autres étaient ses suffragants.
Dans le domaine judiciaire, le métropolite était l’instance supérieure des autres tribunaux diocésains et c’est à lui qu’il revenait de consacrer les nouveaux évêques de sa province. Il devait en outre présider le concile provincial - assemblée des évêques de cette région - lequel, selon une règle du 1er Concile de Nicée qui ne fut jamais bien observée, devait se réunir deux fois par an.
6. La christianisation des Empires
La division de l’Empire en deux “parties” - Orient et Occident, consommée à la fin du 4ème siècle, et qui allait provoquer la cristallisation de deux Empires, eut de profondes répercutions sur la vie de l’Eglise. La “partie” occidentale - qui coïncidait approximativement avec les régions de langue et de culture latines - avait, pour unique siège apostolique celui de Rome, ce pourquoi le Pontife romain fut également Patriarche d’Occident.
Dans la “partie” orientale, de culture grecque, syriaque et copte, émergèrent plusieurs grands sièges de fondation apostolique - Alexandrie, Antioche et Jérusalem - qui furent la tête de patriarcats, lesquels constituaient de très vastes circonscriptions ecclésiastiques.
Le Concile de Constantinople éleva en 381 le siège de cette cité au rang patriarcal et attribua à ses évêques un primat d’honneur dans l’Eglise, après l’évêque de Rome, « en raison - dit-il - de ce que la ville est la nouvelle Rome ».
Sur ce fondement, de nature politique et non pas ecclésiastique - la capitale impériale - fut créé un nouveau patriarcat, celui de Constantinople, destiné à atteindre une préémience incontestable sur tous les Patriarcats orientaux, surtout à partir du Concile de Chalcédoine (451).
La libert➩ de l’Eglise lui permit de se structurer plus clairement et favorisa un exercice plus effectif du Primat des papes sur l’Eglise universelle. Les grands pontifes des 4➨me et 5➨me si➨cles - Damase (✝ 366), L➩on le Grand (✝ 461), G➩lase (✝ 496) - s’efforc➨rent de d➩finir avec pr➩cision le fondement dogmatique du Primat romain : la primaut➩conc➩d➩e par le Christ ➠ Pierre, dont les papes sont les successeurs l➩gitimes et exclusifs. A partir du 4➨me si➨cle, l’exercice du Primat romain sur les ➩glises occidentales fut tr➨s intense : les papes intervinrent en de multiples occasions par des lettres d➩cr➩tales, par ses l➩gats et ses vicaires.
En Orient, un grand concile - celui de Sardique (343-344) - reconnut le droit de tout évêque de la terre de recourir, en tant qu’instance suprême, au Pontife romain. Cependant, la tendance qui prévalut finalement, favorisée par le développement des Patriarcats, notamment celui de Constantinople, fut celle qui était favorable à l’autonomie juridictionnelle.
L'attitude de l'Orient chrétien à l’égard de Rome, après le Concile de Chalcédoine, peut se résumer ainsi : il attribuait à l'évêque de Rome la primauté d’honneur sur toute l'église, reconnaissait son autorité dans le domaine doctrinal, mais refusait de reconnaître tout pouvoir disciplinaire ou juridictionnel des papes sur les églises orientales.
Dans l'Empire romano-chrétien, de grandes assemblées ecclésiastiques purent se réunir, manifestations authentiques de la catholicité de l'Eglise, qui reçurent le nom de “conciles oecuméniques” ou universels. Huit synodes oecuméniques eurent lieu entre les quatrième et neuvième siècles. Une importance particulière fut toujours reconnue aux quatre premiers d’entre eux : ceux de Nicée I (325), de Constantinople I (381), d’Ephèse (431) et de Chalcédoine (451). Tous ces conciles se réunir dans l'Orient chrétien, et la majeure partie des évêques qui y assistèrent étaient des évêques orientaux.
La convocation de ces conciles était ordinairement faite par l'Empereur, seule autorité capable de mettre en oeuvre les moyens indispensables à la célébration de si grandes assemblées. Pour plusieurs d'entre eux, la convocation impériale répondit à une demande pontificale et les légats du pape occupèrent une place d'honneur dans l’assemblée conciliaire. La reconnaissance du caractère oecuménique d'un grand concile se fondait sur sa réception par l'Eglise universelle, exprimée surtout par la confirmation papale de ses canons et de ses décrets.
La liberté de l'Eglise et la conversion du monde antique entraînèrent finalement l'entrée en scène d'un nouvel acteur de première importance pour les temps futurs : l'empereur chrétien. Ce personnage - un simple laïque dans l'ordre de la hiérarchie - avait néanmoins conscience de la mission qui lui incombait de défendre l'Eglise et de promouvoir l'ordre chrétien dans la société : tel était déjà le rôle que s’attribuait Constantin en se donnant à lui-même le titre très significatif « d’évêque extérieur ».
Les empereurs chrétiens rendirent d'incontestables services à l'Eglise mais leurs ingérences dans la vie ecclésiastique produisirent également de nombreux abus, dont le terme « Césaro-papisme » exprime la forme extrême. Ces abus furent particulièrement graves dans les églises d'Orient. En Occident, l’autorité de la papauté, la faiblesse des empereurs occidentaux et l’éloignement géographique des orientaux contribuèrent à la sauvegarde de l’indépendance ecclésiastique. Les relations entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, leur conjonction harmonieuse et la mission de l’empereur chrétien furent des thèmes traités par différents Pères de l’Eglise, et spécialement par le Pape Gélase, dans une lettre qu’il écrivit à l’Empereur Anastase (en 494).
Le rôle de l’empereur chrétien, comme protecteur de l’Eglise, fut jugé à ce point nécessaire, dans les siècles de transition de l’Antiquité au Moyen-Age, que lorsque les empereurs byzantins cessèrent de jouer ce rôle au côté du Pontife romain, les papes cherchèrent auprès du roi des Francs l’aide du pouvoir séculier qu’ils ne pouvaient plus attendre de l’Empereur oriental.
Source : José Orlandis (Histoire de l'Église, 2001).
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(1) NdT.- Voici le texte de l’édit de Galère, tel qu’il est rapporté par Lactance dans son ouvrage De la mort des persécuteurs de l’Eglise (n° 34) : « Quoique nous ayons toujours travaillé avec beaucoup d'application au bien et à l'utilité de l'État, nous n'avons toutefois rien eu tant à cœur que de rétablir les choses dans l'ordre ancien, et de ramener les chrétiens à la religion de leurs pères, dont ils s'étaient séparés; car non contents de mépriser les cérémonies dont leurs ancêtres sont les auteurs, ils sont venus à ce comble de folie de se faire des lois à eux-mêmes et de tenir diverses assemblées dans les provinces; ce que nous avions défendu par nos édits, en leur ordonnant de se remettre dans la bonne voie. Plusieurs ont déféré à ces ordres par crainte, plusieurs aussi, n'y ayant pas voulu obéir, ont été punis. Mais comme nous sommes informés qu'il y a un fort grand nombre de chrétiens qui persistent dans leur opiniâtreté, et qui, n'ont de respect ni pour la religion des dieux ni pour celle du Dieu des chrétiens lui-même, en contemplation de notre très douce clémence et de notre coutume éternelle de pardonner aux hommes, nous avons bien voulu répandre promptement sur eux les effets de notre bonté. C'est pourquoi nous leur permettons l'exercice de la religion chrétienne, et de tenir leurs assemblées, pourvu qu'il ne s'y passe rien contre les lois. Par une autre déclaration nous ferons savoir à nos officiers de justice la conduite qu'ils doivent tenir envers eux. Profitant de notre indulgence, qu'ils prient donc Dieu pour notre santé, pour la prospérité de notre empire, et pour leur conservation, afin que l'empire subsiste éternellement, et qu'ils puissent vivre chez eux en repos. »
(2) NdT.- Cet étendard porte le nom de “labarum” [en grec λάβαρον]. Voici la description qu’en donne Eusèbe de Césarée (° ~265 – † ~340), qui atteste l’avoir vu plusieurs fois : « C'était une longue pique revêtue d’or et munie d’une antenne transversale à l’instar de la croix. Au dessus, au sommet de cette même pique, était fixée une couronne d'or et de pierreries. Au centre de la couronne était le signe du Nom salutaire (de Jésus-Christ), à savoir : un monogramme désignant ce Nom sacré par ses deux premières lettres groupées, le P au milieu du X. Ces mêmes lettres, l’Empereur eut coutume de les porter depuis lors sur son casque. A l’antenne du labarum, qui est obliquement traversée par la pique, était suspendue une espèce de voile, ou tissu de pourpre, enrichi de pierres précieuses artistiquement combinées entre elles, qui éblouissaient les yeux par leur éclat, et de broderies d’or d’une beauté indescriptible. Ce voile, fixé, à l’antenne, était aussi large que long, et avait en sa partie supérieure le portrait de l’Empereur, chéri de Dieu, et de ses enfants, brodés en or, à demi-corps. L’Empereur utilisa toujours à la guerre cet étendard salutaire, comme un signe protecteur de la puissance divine contre ses ennemis, et fit porter dans toutes ses armées des enseignes exécutées sur le même modèle » (Vie de l’Empereur Constantin, L. I, chap. 31).
(3) NdT.- Le donatisme est une doctrine qui se répandit en Afrique romaine aux 4ème et 5ème siècles, du nom de Donat, évêque de Cellae Nigrae (Cases-Noires) en Numidie. Sa principale opposition à l’Église portait sur son refus de reconnaître la validité des sacrements délivrés par les évêques qui avaient failli lors des persécutions de Dioclétien (303-305). Cette hérésie fut condamnée en 313 au concile de Rome.
(4) NdT.- L’arianisme est une hérésie qui s’est répandue à la suite d’Arius (256-336), prêtre d’Alexandrie, et soutenant notamment que si le Christ était supérieurs aux autres hommes, il n’était pas Dieu. Cette hérésie fut condamnée par le synode d'Alexandrie, en 320, puis par le concile de Nicée, en 325.
(5) Julien, appelé également Julien le Philosophe, Julien II ou Julien l'Empereur, régna de 361 à 363. Il doit son nom “d’Apostat” au fait qu’il tenta de restaurer le paganisme dans l’Empire, alors qu’il avait été élevé dans le christianisme (l’arianisme, en réalité). Ils écrivit différents ouvrages contre le christianisme, notamment un Contre les Galiléens.