La première prise de position de l’Etat romain contre les chrétiens fut celle de l’Empereur Claude (41-54). Les historiens Suètone († vers 130) et Dion Casius († après 235) racontent qu’il fit expluser les juifs parce qu’ils étaient continuellement en litige entre eux à cause d’un certain Christos. « Nous serions ainsi en présence des premières réactions provoquées par le message chrétien dans la communauté de Rome », commente Karl Baus.
Empereur Trajan
L’historien Caius Suetonius Tranquillus (Suètone), fonctionnaire impérial de haut rang sous les Empereurs Trajan et Adrien, intellectuel et conseiller de l’Empereur, justifiera cette intervention contre les chrétiens, ainsi que celles qui les suivirent, en définissant le christianisme par ces mots très forts : « une superstition nouvelle et maléfique ».
En tant que superstition, le christianisme était ainsi rattaché à la magie. Pour les romains, celle-ci désignait un ensemble de pratiques irrationnelles auxquelles recouraient des mages et des sorciers sinistres pour abuser les gens ignorants, sans éducation philosophique. La magie, c’était l’irrationalité opposée à la raison, la connaissance vulgaire opposée à la connaissance philosophique.
L’accusation de magie (comme celle de folie) était une arme dont se servait l’Etat romain pour accuser et contrôler des composantes douteuses de la société. Ainsi du christianisme. Le terme maléfique (porteur de maux) alimentait la suspicion obtuse du peuple, qui voyait dans cette nouveauté (comme dans toute nouveauté) la source des délits les plus déplorables, et, par conséquent, la cause de tous les maux inexplicables qui se répandaient, de la peste aux inondations, de la famine à l’invasion des barbares.
En l’année 64, un incendie dévasta dix des quatorze quartiers de Rome. L’Empereur Néron, accusé par le peuple d’en être l’auteur, en rejeta la faute sur les chrétiens. Ce fut alors le début de la première grande persécution, qui dura jusqu’en 68 et vit périr, notamment, les Apôtres Pierre et Paul.
Le grand historien Publius Cornelius Tacitus (Tacite) (540-120), sénateur et consul, écrivant au temps de l’Empereur Trajan ses Annales, décrit cet événement. Il accuse Néron d’avoir accusé injustement les chrétiens, mais il se déclare convaincu de ce que ces derniers méritent les peines les plus sévères, parce que leurs superstitions les portent à commettre des actions infâmes. Il ne partage donc même pas la compassion que beaucoup éprouvèrent à les voir torturer. Voici la célèbre page de Tacite :
« (...) aucun moyen humain, ni largesses impériales, ni cérémonies expiatoires ne faisaient taire le cri public qui accusait Néron d'avoir ordonné l'incendie. Pour apaiser ces rumeurs, il offrit d'autres coupables, et fit souffrir les tortures les plus raffinées à une classe d'hommes détestés pour leurs abominations et que le vulgaire appelait chrétiens. Ce nom leur vient de Christ, qui, sous Tibère, fut livré au supplice par le procurateur Pontius Pilatus. Réprimée un instant, cette superstition maléfique se répandait de nouveau, non seulement dans la Judée, où elle avait sa source, mais dans Rome même, où tout ce que le monde enferme d'infamies et d'horreurs afflue et trouve des partisans. On saisit d'abord ceux qui avouaient leur secte ; et, sur leurs révélations, une infinité d'autres, qui furent bien moins convaincus d'incendie que de haine pour le genre humain.
« On fit de leurs supplices un divertissement : les uns, couverts de peaux de bêtes, périssaient dévorés par des chiens ; d'autres mouraient sur des croix, ou bien ils étaient enduits de matières inflammables, et, quand le jour cessait de luire, on les brûlait en guise de flambeaux. Néron prêtait ses jardins pour ce spectacle, et donnait en même temps des jeux au Cirque, où tantôt il se mêlait au peuple en habit de cocher, tantôt conduisait un char. Aussi, quoique ces hommes fussent coupables et eussent mérité les dernières rigueurs, les coeurs s'ouvraient à la compassion, en pensant que ce n'était pas au bien public, mais à la cruauté d'un seul, qu'ils étaient immolés. » (Annales, L. 15, 44).
Les chrétiens étaient donc considérés, même par Tacite, comme une engeance méprisable, capables des crimes les plus odieux. Ces crimes les plus infâmes, qui leur étaient attribués, étaient l’infanticide rituel [comme si, lors du renouvellement de la Cène du Seigneur, où l’on s’alimentait de la sainte Eucharistie, un enfant était immolé et mangé] et l’inceste [travestissement manifeste du “baiser de paix” échangé au cours de la célébration de l’Eucharistie « entre frères et soeurs »].
Ces accusations, nées des commérages de la racaille, furent validées par l’autorité de l’Empereur, qui fit poursuivre et condamner à mort les chrétiens. Depuis ce moment-là [Tacite nous en témoigne], les chrétiens se virent imputer un autre crime : la haine du genre humain. Pline le jeune († vers 114) écrira ironiquement que dès lors, sur le fondement d’une telle accusation, il n’est pas un homme qu’on ne puisse condamner à mort.
Nous possédons peu d’informations sur la persécution dont souffrirent les chrétiens en l’an 89, sous l’Empereur Domitien († 96). Celle qu’apporte l’historien grec Dion Casius, préteur et consul à Rome, est de première importance.
Domitille
Dans le Livre 67 de son Histoire romaine, il affirme que sous le règne de Domitien furent condamnés « pour athéisme » (ateótes) le consul Flavius Clementius et sa femme Domitille et, avec eux, de nombreuses autres personnes qui « avaient adopté les usages judaïques ». L’accusation d’athéisme, à cette époque, est dirigée contre qui ne reconnaît pas à la majesté impériale la divinité suprême.
Domitien, très dur restaurateur de l’autorité centrale, prétendait au culte le plus élevé à l’égard de sa personne, centre et garante de la « civilisation humaine ». Il est remarquable qu’un intellectuel comme Dion Casius qualifie « d’athéisme » le rejet du culte de l’Empereur. Cela signifie qu’aucune idée de Dieu n’est admise à Rome qui ne coïncide avec la majesté impériale. Celui qui s’en forme une idée différente est éliminé comme un grave danger pour la « civilisation humaine ».
Source : José Orlandis (Histoire de l'Église, 2001).